Combien d’éoliennes pour remplacer le nucléaire

La question revient systématiquement dans les débats sur la transition énergétique française. Pourtant, y répondre nécessite de dépasser les calculs simplistes et de comprendre les différences fondamentales entre ces deux modes de production. Les chiffres varient considérablement selon les paramètres retenus, et surtout, la comparaison elle-même comporte des limites importantes.

La question de la puissance installée : un premier calcul trompeur

Un réacteur nucléaire français affiche en moyenne une puissance de 900 MW. Les plus récents atteignent 1 300 MW, voire 1 450 MW pour l’EPR de Flamanville. Face à cela, une éolienne terrestre moderne développe généralement 3 MW de puissance.

Le calcul brut paraît simple : diviser 900 par 3 donne 300 éoliennes pour égaler la puissance d’un seul réacteur. Pour un réacteur de 1 300 MW, ce chiffre grimpe à 433 éoliennes.

Cette approche pose un problème majeur. Elle compare uniquement la puissance installée, c’est à dire la capacité maximale théorique. Or, aucune installation de production électrique ne fonctionne en permanence à pleine puissance. Le nucléaire connaît des arrêts de maintenance programmés. L’éolien dépend du vent. Pour obtenir une comparaison réaliste, il faut examiner la production effective sur une année complète.

Le facteur de charge change tout

Le facteur de charge mesure le rapport entre la production réelle d’une installation et sa production théorique maximale sur un an. C’est le paramètre qui transforme radicalement l’équation.

En France, le parc nucléaire affiche un facteur de charge d’environ 70%. Concrètement, un réacteur produit à pleine puissance environ 6 100 heures sur les 8 760 heures que compte une année. Les 30% restants correspondent aux arrêts de maintenance, aux rechargements de combustible et aux périodes de fonctionnement à charge réduite.

L’éolien terrestre français présente un facteur de charge moyen de 23 à 25%. Une éolienne tourne effectivement plus de 80% du temps, mais rarement à puissance maximale. Elle produit à plein régime uniquement lorsque le vent souffle entre 50 et 90 km/h. Résultat : environ 2 000 heures de production équivalente pleine puissance par an.

L’éolien offshore performe mieux grâce à des vents marins plus réguliers et plus forts. Son facteur de charge atteint 40 à 45%, soit près du double de l’éolien terrestre.

Combien d’éoliennes par réacteur avec le facteur de charge

Lorsqu’on intègre ces facteurs de charge dans le calcul, les résultats changent considérablement. Pour remplacer la production annuelle d’un réacteur de 900 MW, il faut compter entre 700 et 900 éoliennes terrestres de 3 MW.

Avec des éoliennes offshore de 6 MW et leur meilleur facteur de charge, ce nombre se réduit à 350 à 450 machines par réacteur. Les nouvelles générations d’éoliennes marines atteignent désormais 12 MW, voire 15 MW pour les prototypes les plus récents, ce qui permettrait théoriquement de diviser encore ces chiffres par deux.

Pour un réacteur plus puissant de 1 300 MW, il faudrait entre 1 000 et 1 300 éoliennes terrestres, ou 500 à 650 éoliennes marines.

Remplacer l’ensemble du parc nucléaire français : les ordres de grandeur

Le parc nucléaire français compte actuellement 56 réacteurs répartis sur 18 sites. Leur puissance cumulée atteint 61,4 GW. En 2023, ils ont produit environ 320 TWh d’électricité, soit près de 63% de la production électrique nationale.

Pour égaler cette production avec de l’éolien terrestre uniquement, il faudrait installer entre 24 000 et 34 000 éoliennes selon les hypothèses retenues sur les facteurs de charge et les puissances unitaires. Avec de l’éolien offshore, ce chiffre descendrait à 12 000 à 17 000 machines.

La France compte aujourd’hui environ 9 000 éoliennes terrestres pour une puissance installée de 20 GW. Leur production annuelle atteint 38 à 40 TWh, soit environ 8 à 9% de l’électricité consommée. Pour remplacer intégralement le nucléaire par l’éolien, il faudrait donc multiplier le parc actuel par trois à quatre.

En termes de nouvelles installations, cela représenterait entre 15 000 et 25 000 éoliennes supplémentaires à construire. À titre de comparaison, l’Allemagne dispose d’environ 29 000 éoliennes sur son territoire, et la Chine en compte plus de 300 000.

Au-delà des chiffres : pourquoi cette comparaison a ses limites

L’intermittence de l’éolien

Le nucléaire produit de l’électricité de manière continue et prévisible. Un réacteur délivre une puissance quasi constante, appelée production de ruban. Les gestionnaires de réseau savent précisément combien d’électricité sera disponible à chaque instant, en dehors des arrêts programmés plusieurs mois à l’avance.

L’éolien fonctionne différemment. Sa production varie constamment selon la force du vent, avec des fluctuations possibles de 0 à 100% en quelques heures. La France peut connaître des périodes de plusieurs jours avec très peu de vent sur l’ensemble du territoire, où la production éolienne s’effondre. À l’inverse, lors de tempêtes, certaines éoliennes doivent être arrêtées pour éviter les dommages.

Cette intermittence impose des solutions complémentaires. Il faut soit maintenir des capacités de production pilotables (centrales gaz, hydraulique), soit développer massivement le stockage d’électricité (batteries, stations de pompage hydraulique, hydrogène), soit renforcer considérablement les interconnexions européennes pour compenser localement les déficits. Chacune de ces options représente des investissements majeurs et des défis techniques.

Le réseau électrique doit également évoluer. Les gestionnaires intègrent désormais des prévisions météorologiques fines pour anticiper la production éolienne. Mais même avec les meilleurs outils, l’éolien reste fondamentalement moins prédictible qu’une centrale nucléaire.

La question de l’emprise au sol

Une centrale nucléaire occupe typiquement 100 à 150 hectares pour une production de 5 à 6 TWh par an. Cette emprise inclut les bâtiments des réacteurs, les systèmes de refroidissement, les zones de sécurité et les infrastructures associées.

Un parc éolien nécessite un espacement de 300 à 500 mètres entre chaque machine pour éviter les turbulences et optimiser la production. Pour remplacer une centrale de 5 TWh, il faudrait installer environ 800 à 1 000 éoliennes terrestres. Avec un espacement moyen de 400 mètres, cela représenterait une surface théorique de 12 000 à 16 000 hectares.

Cette comparaison mérite toutefois d’être nuancée. Le sol sous et autour des éoliennes reste utilisable pour l’agriculture, l’élevage ou d’autres activités. L’emprise réelle au sol se limite aux fondations (quelques dizaines de mètres carrés par machine) et aux chemins d’accès. À l’inverse, une centrale nucléaire stérilise totalement son périmètre de sécurité.

L’éolien offshore évite en partie cette problématique d’emprise territoriale, mais soulève d’autres questions : impact sur la navigation maritime, effets sur les écosystèmes marins, coûts de raccordement au réseau terrestre.

Les coûts et les délais

Le coût d’installation de l’éolien terrestre en France se situe entre 1,2 et 1,8 million d’euros par MW installé. L’éolien offshore coûte plus cher : 2,5 à 4 millions d’euros par MW. Pour remplacer un réacteur de 900 MW produisant 6 TWh par an, l’investissement initial varierait entre 2,5 et 4 milliards d’euros en éolien terrestre, ou 4 à 7 milliards en offshore.

Un réacteur nucléaire neuf comme l’EPR représente un investissement de 12 à 19 milliards d’euros pour 1 450 MW de puissance et une production annuelle théorique de 11 TWh. Le coût par MW installé est donc plus élevé pour le nucléaire, mais la production effective par MW aussi.

La durée de vie diffère significativement. Une éolienne fonctionne 20 à 25 ans en moyenne avant démantèlement. Un réacteur nucléaire est conçu pour 40 ans, avec possibilité d’extension à 60 ans moyennant des investissements de prolongation. Sur le cycle de vie complet, il faudrait donc remplacer deux à trois générations d’éoliennes pour égaler la longévité d’un réacteur.

Les délais de construction penchent nettement en faveur de l’éolien. Un parc de 10 à 20 éoliennes se construit en 12 à 24 mois. Un réacteur nucléaire demande 10 à 15 ans entre le lancement du projet et la mise en service, comme le démontre le chantier de Flamanville.

Enfin, les coûts de démantèlement s’avèrent modestes pour l’éolien (50 000 à 100 000 euros par machine), mais représentent plusieurs centaines de millions d’euros par réacteur nucléaire, auxquels s’ajoutent les coûts de gestion des déchets radioactifs sur plusieurs millénaires.

La réalité du mix énergétique français

La question du nombre d’éoliennes pour remplacer le nucléaire n’a de sens que dans un exercice théorique. Aucun scénario crédible de transition énergétique française ne prévoit un remplacement pur et simple.

La stratégie nationale repose sur la diversification des sources. La Programmation Pluriannuelle de l’Énergie (PPE) fixe des objectifs pour 2028 : entre 33 et 35 GW d’éolien terrestre (contre 20 GW actuellement) et 5 à 6 GW d’éolien offshore (quasiment inexistant aujourd’hui). Parallèlement, le gouvernement a annoncé la construction de six nouveaux réacteurs EPR2 pour maintenir la part du nucléaire.

Le mix énergétique visé pour 2050 combine plusieurs piliers : un socle nucléaire rénové, un développement massif de l’éolien et du solaire, le maintien de l’hydraulique, et l’émergence de nouvelles filières comme l’hydrogène ou la géothermie profonde. Chaque source compense les faiblesses des autres.

L’éolien produit particulièrement bien en hiver, période de forte consommation électrique. Le solaire répond aux pics de consommation estivaux. L’hydraulique offre une capacité de stockage et de réponse rapide aux variations de demande. Le nucléaire garantit une production de base stable. Cette complémentarité constitue le véritable enjeu, bien plus que l’opposition binaire entre technologies.

Les scénarios les plus ambitieux de RTE (Réseau de Transport d’Électricité) pour 2050 envisagent une production éolienne de 200 à 300 TWh par an, soit six à huit fois plus qu’aujourd’hui. Mais même dans les scénarios 100% renouvelables, l’éolien ne représenterait que 40 à 50% du mix, le reste provenant du solaire, de l’hydraulique, de la biomasse et de l’hydrogène.

Remplacer les 56 réacteurs français nécessiterait donc entre 24 000 et 34 000 éoliennes terrestres, ou 12 000 à 17 000 machines offshore. Ces chiffres impressionnants illustrent surtout une réalité : l’éolien seul ne peut assurer la sécurité d’approvisionnement électrique d’un pays industrialisé. La transition énergétique française passera par un équilibre entre nucléaire rénové et montée en puissance des renouvelables, chacun jouant son rôle dans un système électrique plus résilient et décarboné.

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